Friday 7 January 2011

Présumé erroné

Au début, la mise en garde des "anciens" de la fac ne m'avait fait ni chaud ni froid. Elle consistait à faire remarquer qu'à terme, le juriste devient sclérosé par sa science, obsédé par le bien parler juridique. Les symptomes sont de grandes déclarations ennuyantes (vous savez, de celles qui font fuir les connaissances en soirée. La "connaissance" étiquetant généralement l'indélicat de la mention "Lourd, à éviter.") ou des coups de gueules à "pousser" quoi qu'il advienne.
Aujoud'hui, je les crois.


Une erreur de plume du monde me fait aujourd'hui prendre la mienne, car elle commence à être par trop récurrente et titille ma juridique sensibilité.

Le monde daté du 7 janvier 2011, débute un de ses articles consacrés à un bombardier chinois par la phrase suivante. "L'apparition sur Internet de photos présumées d'un prototype d'avion furtif suscite des interrogation sur les avancées techniques de l'armée chinoise." Phrase d'accroche journalistique banale en somme. Si ce n'est qu'elle trahit l'injonction du chef de bureau de "faire plus court" tant on a l'impression qu'elle a subi les foudres d'une centrifugeuse soviétique.
Mais, au delà de sa mauvaise rédaction, c'est l'usage du mot "présumé" qui me met hors de moi. Je pèse mes mots et ma colère.

Le langage journalistique a, depuis longtemps, assimilé cette notion de "présumé". On parle maintenant du présumé coupable, présumé victime, présumé bidule. On ne se rappelle que rarement de sa lointaine parenté journalistique d'avec la "présomption d'innocence." L'article préliminaire troisièmement du Code de procédure pénale réprime en effet les atteintes à cette présomption. C'est ainsi que les journalistes ont du adapter leur vocabulaire en passant des vocables "accusé", "inculpé", à "présumé" suivi de la qualification désirée. On a pu ainsi trouver des ineptie telles que le "présumé violeur" ou le "présumé coupable", inepties provoquant l'exact inverse de ce qu'elle souhaite dire: le "présumé violeur" serait en fait considéré comme violeur à moins qu'il ne démontre le contraire. Je ne vous ferai pas l'affront de vous dérouler le raisonnement, c'est pourquoi je reviens à la définition fondamentale: qu'est ce qu'une présomption.

Selon l'article 1349 du Code civil "les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu." Je "la fais courte" en résumant: la présomption est un mode de preuve judiciaire. Un état de fait préconçu, au fond, un préjugé. Au sens pénal, la présomption est une supposition de départ, ouverte à la contestation (vocabulaire Cornu, 8ème Ed.).
La présomption est une supposition quand à la preuve judiciaire.

Amis journalistes, il est ainsi inutile d'emprunter un vocabulaire technique pour parraitre maitriser le sujet, quand ce vocabulaire est hors de son conteste. A plus forte raison lorsque ce vocabulaire est utilisée comme un raccourci pour dire en substance: "on suppose que c'est ca, mais on n'est pas sur, alors si on se goure on vous aura prévenu qu'on n'avait bien dit que c'était sous réserve de la preuve du contraire." Oui présumé, c'est moins long.

Ainsi dans la phrase susvisée (1) du monde, il était absolument hors de propos de présumer que l'avion était bien celui de la photo, ou qu'il était un appareil furtif de l'armée chinoise. Le dit engin n'était l'objet d'aucune présomption, ni de droit ni du juge. Il n'était non plus pas l'objet d'une quelconque action judiciaire.
Il suffisait de dire que le gros coucou blindé en photo était supposé être l'avion furtif en question.


Amis journalistes:
Ne dites pas: "le présumé bidule" Tout court, même pour un accusé!

Dites: "le supposé bidule" ou, en matière judiciaire: "le défendeur" (en matière civile), "le prévenu" (en matière correctionnelle), "l'accusé" (en matière criminelle) ou "le mis en examen" (si une instruction préparatoire est en cours.)


(1) Moi aussi je sais utiliser un vocabulaire technique hors de tout contexte.

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