Saturday 30 April 2011

Poetique du mouvement ou courbes sonores


Il pousse la porte. Son buste incline fait face à la présence mutique de l’orgue de cœur. Placé de biais dans la nef, il donne l’impression de n’avoir jamais été définitivement positionné.

Il fait froid. Il prend un cran à sa ceinture, comme si ce geste rassurant allait le réchauffer. Il referme avec précaution la porte, de peur de troubler l’élégance sonore du bâtiment.

Il parcourt les cinq mètres le séparant du premier pilier. Il marche en posant la pointe du pied avant le talon. Cela donne à sa démarche un air inassuré. Il ressemble à un chat de gouttière navigant nocturnement au fait d’un toit.

Il marque une pause et décroche la grosse corde. Il contrôle l’opération par un regard de biais, la tête légèrement soulevée. Il la tient avec trois doigts de la main gauche. Il mène la corde jusqu’à son aplomb. Il tente de lover du pied la partie dormante au sol. Comme mue par un esprit de résistance mal éveillé, celle-ci se rebelle mollement.

Il pivote sur sa gauche. La semelle de sa sandale, au contact du grès crémeux émet un aboiement. Il ne n’en préoccupe pas.

Face à la veilleuse, il accentue l’inclinaison de son buste. Il salue, lentement, consciencieusement.
Il fait un pas de côté et rejoins le pilier opposé au premier. Il décroche la petite corde. Il la saisit pleinement de la droite et la conduit à la verticale de son puits. 

Faisant face aux vitraux qui, dans quelques heures seront les passeurs de lumière, il modifie sa prise. Il prend la corde à hauteur du visage, par la main droite. La gauche est au niveau de son côté.

Prenant l’impulsion dans le coude, il frappe d’un air concentré cinq coups suivis de trois. Il lâche la corde. Elle aussi se rebelle un peu, fâchée d’avoir été dérangée dans son silence.

Il rejoint la grosse corde, sans saluer cette fois. Il agrippe la corde au dessus de sa tête. Les deux mains sont l’une juste au dessous de l’autre. Il donne alors tout son poids sur la corde. Celle-ci obéit mollement, comme un adolescent que l’on tire du lit. Il poursuit son effort.

Pendant ses trois premiers efforts, il ne se produit aucun son. C’est un sentiment hors du monde que de se croire immergés, à l’abri du bruit. On a envie de crier et de rester sans voix. 

Cet état prend fin avec le bris du battant touchant la fonte. Satisfait, il poursuit sa pesée jusqu’à ce que le battant devienne fou, comme si, claustrophobe, il voudrait sortir des ténèbres de sa cloche.

Il cesse alors d’accompagner le mouvement de la corde et la lâche. Cette fois, prise d’inertie, elle continue de vivre. Elle ondule élégamment en désordre. Las, elle finit par se calmer.

Il est cinq heures quarante sept, l’office de vigile commence.

Mes remerciements à P.N. qui m'a permis d'assister à ce beau moment.

Thursday 21 April 2011

Après-midi Londonien


Dans la pénombre, le générique se déroule, mécaniquement. Je sors peu à peu de l’ambiance du film. Quittant l’écran, mon regard glisse sur la table, jonchée des reliefs du diner-crêpes. Les enfants somnolent, Jean bouquine. Je serai seule à ranger.

De guerre lasse, je me renfonce dans le Chesterfield, tentant de prolonger de quelques minutes la fin de cette institutionnelle oisiveté. Comme pour mieux signifier ma mise hors circuit, je ferme les yeux et bascule la tète en arrière.

La musique du générique est typique du film tous publics : à la fois banale et moderne. Je reconnais une version jazz du morceau préféré de Maman. 

Elle nous l’a encore servi cette après midi. Le rituel est immuable. On la sent d’abord tourner en rond et se diriger lentement vers les CD. Un hasard feint la fait choisir ce requiem, ouvre sa boite et saisit le CD en insérant le tiers de son auriculaire en son centre. Elle commande ensuite l’ouverture du chariot à CD, qui, en obtempérant, produit le grincement mécanique. Il sonne le glas de la sieste et annonce le début d’un période de désœuvrement collectif. Chacun s’emploiera à rationner ses gestes, comme pour mieux digérer les rognons au roquefort. 

Que j’aime ces après midis pluvieux ou l’on retourne en enfance. Je les appelle mes après-midi londoniens. A l’abri des bombes, chaudement près du feu. Le morne ciel hivernal est alors une bénédiction.

Le menu du DVD et son horripilante musique surgissent. Je redresse péniblement la tête. La trêve est finie : demain, une nouvelle semaine commence.

Texte rédigé pour les impromptus littéraires dont l'original thème cette semaine était d'écrire ce que nous inspire la Pavane de Fauré.

Monday 18 April 2011

Lettre au chien

KLM,
6, allée Eluard,
90200 Idem
Le Chien,
En face
90200 Idem


Cher Chien,


J’ai deux choses à te dire.

Primo, tu es un être dont l’existence est insignifiante. Tu n’as aucune espèce d’utilité, si ce n’est que de pourrir la vie de tes maitres neurasthéniques, leur donnant par là une raison de engueuler, et donc, de vivre.

Deuxio, tu m’emmerdes. Très sincèrement. Tes cris stridents rajoutent de la haine au mépris que je te porte. Loin d’effrayer les chats dont tu crois renifler la présence, tu provoques chez eux l’hilarité. Tu es ce qu’est le fantassin au char : ridicule.

Alors, cher toutou, écoute-moi bien. La prochaine fois qu’il te prendra la mauvaise idée de gueuler pour inaugurer la promenade qui te permettra de satisfaire impudiquement tes ridicules besoins physiologiques, attends toi à trouver ton si joli pelage blanc taché du rouge de ton sang.

Un voisin qui te veut du mal,

KLM