Tuesday 30 November 2010

De la médecine militaire au quotidien


Qui n’a pas été alpagué par un journaliste, qui, « couvrant » un événement, énonce [voix haletantes, cernes] que « le pronostic vital est engagé ? » Oui, vous l’avez vue cette scène. Celle du dimanche soir au « 20 heures : » journaliste incravaté, ambiance tendue, grilles imposantes, Val de Grâce somnolant, projecteurs, badauds.
On sent toute l’urgence de la situation, le pronostic, la conjecture de ce grand homme est en jeu ! Le pronostic, ce jugement que fait le médecin de l’issue d’une maladie et là. Il est Celui dont tout le monde cause et dont ils ne parlent pas, à cause du grand Secret.
On sent toute la mobilisation qui a lieu derrière ces grilles. Il y a un engagé. Il a été enrôlé cet engagé, il est mis aux prises. Cet engagé, c’est le Pronostic. Sa calotte militaire sur le dos, son fusil à l’épaule, il part à l’assaut, à l’assaut de la mort, il se prépare à l’attaque.
Mais, soudain, le pronostic se prend les pattes dans son engagement. Il chute. Il ne comprend pas sa chute ; dans la boue, il lève son regard: l’engagement l’a fait choir.
Il a réalisé que, tout pronostic qu’il est, il ne peut être engagé : il doit être qualifié.

Ne dites pas : le pronostic vital est engagé.
Dites : le pronostic vital est mauvais.

Thursday 25 November 2010

L'interdit de souffrir ou l'exclusion de la douleur

             Je me suis posé longtemps cette question : pourquoi la souffrance et la douleur sont elles honnies ? Cette réflexion ne doit pas être interprétée comme une ode à la souffrance. Je ne suis pas doloriste et me doute que certaines douleurs ou certaines souffrances sont intolérables et indicibles. Ces quelques lignes doivent être entendues comme le produit d’une volonté d’empêcher de tourner en rond.

Douleur et souffrances
La douleur est la conséquence d’une affection du corps, elle signale une atteinte à l’intégrité physique. Elle peut être aigue ou chronique. Lorsque l’on demande à quelqu’un où il a mal, on cherche un problème que l’on peut résoudre, grâce à la science (au sens de la connaissance que l’on a de quelque chose.) Cependant, lorsque l’on demande à quelqu’un de quoi il souffre, on l’engage à conter sa souffrance, ce qu’il endure. Ici, la science n’est d’aucun recours. La souffrance est donc un désaccord intime avec l’image que l’on se fait de soi[1].
On peut aussi distinguer une autre souffrance, que je nommerai collective. Cette souffrance est le produit de la prise de conscience par un groupe d’une injustice dont il est la victime. Cela rejoint la définition de la souffrance individuelle : il y a ici la possibilité d’un mieux.
La science pour l’homme contre la difficulté
La science moderne tout entière est destinée à l’homme et à réduire la souffrance et la douleur. La mécanisation et l’industrialisation ont réduit la pénibilité du travail (en créant, paradoxalement une autre forme de souffrance, celle-ci collective). L’informatisation a rendu le travail tertiaire plus doux. L’aéronautique, le voyage plus confortable. Et surtout, la médecine a fait que la douleur, état normal du soin, soit évacuée de l’hôpital[2] Il ne s’agit pas ici de retracer l’histoire de la douleur, mais souvenons nous qu’elle fut un temps considérée comme un courroux divin, puis que sous l’influence d’un courant moniste, la douleur fut considérée comme corporelle (et non de l’âme), et distinguée de la souffrance. A ce stade, je mêle volontairement douleur et souffrance, car leur atténuation ressort d’un même mouvement.
La science donne donc à l’homme de ne plus affronter la difficulté. La technique la fait reculer, la médecine la supprime. La douleur est traitée par des opiacés ou ses succédanés, la souffrance par des antidépresseurs. En germe est donc l’interdit de souffrir : il n’est pas normal de souffrir, et toute difficulté est anormale.
On peut trouver aussi l’explication de l’anormalité dans le consumérisme que nous propose le capitalisme. A chaque désir son produit, ce qui revient à dire que l’argent  donne le bonheur. En somme, notre société garantit la facilité. Elle pénaliste l’échec (le « looser ») et valorise le potentat financier.
J’ai entendu des remarques faites à un dépressif comblé. On lui demandait pourquoi, malgré tout le confort matériel dont il dispose, il n’est pas heureux. Incompréhension des origines de la souffrance.

La fuite de la souffrance et la douleur : un but primordial
Il faut ici citer les articles L. 1110-5 et L. 1110-10 du Code de la santé publique, issus, pour parties, de la loi du 22 avril 2005, dite « loi sur la fin de vie » ou « loi Léonetti », du nom du sénateur ayant rédigé la proposition de loi à l’origine de ce texte.
Article L. 1110-5 CSP :
Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort.  (L. no 2005-370 du 22 avr. 2005)  «Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6,la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.»

Article L. 1110-10 CSP :
Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.

On constate à la lecture de ces textes que le code mélange souffrance, souffrance psychique et douleur. Ainsi, on peut, en cas de « souffrance » pratiquer un « traitement kiss cool. » Cette imprécision de vocabulaire m’interpelle : devant un désaccord entre l’être et l’image de soi, on peut administrer un traitement « double effet. » Mais cessons là cette tergiversation et retenons la substance du texte, que tout le monde a saisi : la mort doit s’effacer devant la douleur.
Je suis conscient que mes propos sont scandaleux. Qui souhaiterait souffrir ? qui souhaiterai qu’un proche meure dans d’atroces souffrances ? Je sais que les membres des services médicaux confrontés à ces questions sont consciencieux. Cependant, je pose la question : peut on abréger une vie « digne jusqu’à la mort » pour éviter la souffrance ?
La position de la société est claire sur ce point : Oui. La médecine use de son pouvoir de faire cesser la souffrance par le traitement ultime et définitif qu’est l’administration de la mort.
Cet état de fait en dit long sur la peur que notre société à suscité vis-à-vis de la souffrance.
Rappelons qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps ou la souffrance était vue comme l’espoir d’une vie meilleure dans l’au-delà. Saint Augustin disait « nul de souffre inutilement. »

La non souffrance et la non douleur : diktat social ?
Le Dr Fabrice Lorin, dans une note sur l’histoire de la douleur[3] concluait en remarquant que « la douleur ressurgit ailleurs : les lésions auto-infligées chez les adolescents sont en efflorescence. Scarifications, piercing, automutilations et par extension les suicides deviennent une préoccupation épidémiologique » et il s’interroge sur la possibilité d’une « interpellation brutale de nos valeurs. »
Ces comportements peuvent être lus à la lumière de l’érection de la non souffrance et de la non douleur au rang de valeur sociale. L’acte de souffrance serait donc un acte de résistance à cette normalité.

Conclusion
Cette note peut pêcher par son fouillis, mais elle aura au moins le mérite de penser la réglementation de la douleur à l’aune du capitalisme. Des amis kinésithérapeutes me faisaient remarquer récemment que la majorité de leur patientèle ne les consulte pas pour traiter une pathologie, mais dans le seul but d’améliorer leur « qualité de vie » en réduisant une gène ou une douleur. La médecine est maintenant vue comme un outil au service du « bien être » plus que comme le moyen de traiter une affection. En témoigne l’essor de la chirurgie esthétique.
N’oublions pas la définition de la santé par l’Organisation mondiale de la santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »


[1] http://www.philosophie-en-ligne.org/article-23042884.html
[2] J’entends déjà mes amis médecins relativiser cette évacuation. Mais c’est un autre sujet.
[3] Lorin, Fabrice, Histoire de la doueur de l’antiquité à nos jours, http://www.psychiatriemed.com/fabrice_lorin_histoire_de_la_douleur.php

Wednesday 10 November 2010

Pourquoi le Parlement ne fait pas la loi

Un ami me demandait récemment: au fait qui fait la loi en France?
Il citait à l'appui de sa réflexion (oui, c'est un ami qui réfléchit) Montesquieu et sa Tries politica, j'ai nommé: la séparation des pouvoirs. Vous vous souvenez peut être de vos poussiéreux cours de philo. On vous a surement rabâché: exécutif, législatif, judiciaire. On vous les a présenté comme hermétiquement séparé. Peut être as t'on poussé le vice jusqu'à vous dire que certains mécanismes assurent cette étanchéité.
Enfin, bref. Je suis au regret de vous dire que je vais devoir vous perturber: Non, en France, le pouvoir législatif ne fait pas la loi.
(J'aurai aimé finir mon billet la et laisser une semaine pour le suspense, mais non.)

Selon Montesquieu, le pouvoir législatif fait la loi, le pouvoir exécutif exécute les lois et le pouvoir judiciaire applique les lois en résolvant les conflits. Bon, la le schéma est clair.
Sauf que: en France on a compliqué un peu le système. Il existe deux modes de fabrication de la loi: les projets et les propositions de loi. La proposition de loi est la méthode "Montesquieu": un ou plusieurs membres du parlement préparent une loi et la soumettent à leurs comparses pour le vote. On s'en doute, cette méthode est minoritaire. En 2006-2007, il y a eu 10 propositions de loi.
L'autre méthode, est le projet de loi. Le président gouvernement rédige un projet et le soumet au vote du parlement. en 2006-2007, il y a eu 30 projets de loi. (pour les stats, c'est par ici.)

Cette répartition résulte d'une loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, et est donnée à l'article 48 de la Constitution.

Donc, les 3/4 des lois ne sont pas concoctées par nos nobles édiles. Précisons une petite chose: en France, le pouvoir est conçu pour que les couleurs du gouvernement et du parlement soient unies, et, de préférence, identiques. Ainsi, si c'est un gouvernement de couleur noire (en l'occurrence, sans couleur), il n'y aura pas de problème à ce que le projet soit adopté par le parlement, ce dernier étant composé de copains parlementaires "noirs" (on attend une assemblée de cette couleur, ca serait une belle preuve de réalité sociale (1)).

Ainsi, dans le chemin qui va de l'idée ministérielle à la loi, le parlement est transparent. Le parlement ne fait donc pas la loi.

Je précise cependant que le travail des parlementaires ne se résume pas à une simple ratification. Non, ne soyons pas catégoriques. Le travail du parlementaire est de représenter le peuple. Promis, un prochain billet sur ce point.

Petite webographie:
- Wikipedia: article "séparation des pouvoirs"
- Planning de l'assemblée nationale. En blanc le temps consacré aux projets de loi, en vert celui dédié aux propositions.
(1) Si quelqu'un sait combien de personnes de type "non caucasien" composent notre noble assemblée...