Sunday 23 January 2011

Entre deux lignes


Le ronflement tranquille des 110 chevaux se mêle à l’aura des feux au Xenon.

Rester entre les deux lignes blanches.

Mal au crâne, mal au dos. L’objectif est indéfini, à peine si je m’en souviens. Mon pied est lourd, sa chute parfois rappelée par les vibrations du volant. 

Rester entre les deux lignes blanches, ne pas déborder. 

Je ne pense plus qu’à ce lobe frontal qui m’écrase les orbites. En plus, j’ai mon cou qui me lâche. Pourquoi il retient plus le menton ?


La ligne de droite se rapproche de moi. Non, je dois y résister, la repousser. 

Et après tout, pourquoi je la laisserai pas voir le dessous de la voiture ? Ouais, c’est vrai, y’a quoi sous la voiture ? Tiens, le tapis de sol passager…

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Ce texte a aussi été préparé pour les Impromptus littéraires, le premier ne pouvant être publié car trop long.

Concentré

Contrat. En général, on est content « d’avoir un contrat. » On vient de signer son contrat de mariage, son CDI, ou (pour le commercial) « un gros contrat. » Mais ces contrats, on les lit jamais.

Moi, les contrats, je déteste : c’est tout sauf clair. Le dernier que j’ai (électroniquement) signé c’était un contrat pour un billet d’avion. 

Ca se passe sur un site aux couleurs criardes (pour les low cost) ou aux lignes épurées (pour les Air-Pays). Le processus veut qu’on dise ce que l’on veut. Prenons un CDG-MEK (pour de Paris Charles de Gaule vers Meknes, Maroc). Après, on s’escrime après pour trouver les dates et horaires. Ensuite, on passe à la phase finale : signe, paye et casse-toi. A ce stade, on se hâte de cocher la case « j’ai lu et j’accepte le blabla que je peux télécharger en PDF. »

D’humeur mazo, j’ai, au lieu de cocher la case, téléchargé le document.

« Tous les téléchargements sont terminés » m’annonce crânement Firefox. Résultat 80ko de document sur le bureau. J’ouvre les fichiers. Nombre de pages : 80, police de caractère : Comic Sans MS, taille 10. Le tout, étalé en chapitre, sections et articles. Bref, un vrai concentré d’arnaques juridiquement valables et que-tu-pourras-pas-contester-sauf-si-t’a-pas-pu-prendre-ton-vol-parce-que-t’es-mort.

J’m’attaque au contenu. Une tasse de thé (Pai Mudan) et un paquet de cookies (Premier Prix) pour tenir le coup. Je me souviens que, petit, j’avais commandé un code civil sur ebay. Je trouvais l’objet beau. Rouge et épais, il donnait le rassurant sentiment de maitriser la Loi. Je l’avais ouvert, et de suite, refermé. Lecture impossible. Erreur 404, page introuvable. Mais, je rêvasse…

Je recommence la lecture. Article 1 : « La société Air Bidule est une société au capital de 11 357 895, 56 €uros. » Non mais comment ils font pour avoir autant de fric ? Attend, mais c’est astronomique ! et dire qu’ya des bédouins qui sont obligés de se prostituer à Al-Qaïda pour survivre ! C’est une honte. Et, merde, je décroche encore. Je poursuis : « La commande de services sur le Site est réservée aux utilisateurs ayant préalablement pris connaissance et accepté, sans réserve, l'intégralité des Conditions de Vente et d'Utilisation du Site et des conditions spécifiques de la commande communiquées. » Non, mais il se foutent de nous ou quoi !? Personne (sauf les juristes et les névrosés compulsifs) ne lit ces pages de charabia écrits en langue « classique ! » Et si on lisait, on n’y comprendrait rien de tout façon. En plus, y’ croient qu’on accepte tout ca en cliquant sur un pauvre bouton dissimulé avant la case : « partir au soleil ? » Quel mazo se ferai un petit suspense : « aller, pour partir se dorer la pilule, faut s’ingurgiter 80 pages de clauses abusives ? » C’est du terror… J’décroche encore.

Impossible de se concentrer.

Bon, aller, ils ont gagné, je rentre dans le rang. Par acquis de conscience, je fais défiler le document, et je clique sur la case « paiement en ligne sécurisé. »

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Ce texte a été rédigé pour une participation aux impromptus littéraires dont le thème de cette semaine était: Concentré. 

Sunday 16 January 2011

Hospitalité pour soi même!

Lorsque l’on parle d’hospitalité, on a pour image l’hospitalité physique, traditionnelle : l’état d’accueil matériel que prévoit la (ou le) maitresse de maison. Socialement ces dispositions impliquent un comportement compatible : le fait d’être accueillant. Avoir sa porte ouverte, tout en étant des plus désagréables est signe d’un simple respect des convenances (qui tendent à disparaitre, notons le) et d’un désintérêt profond de l’homme qui frappe à cette même porte.

Il existe une hospitalité intellectuelle. Celle là consiste en une ouverture, une attention aux autres. L’hospitalité ne se passe pas que dans la maison. Cette hospitalité nous conduit à ne jamais refuser de rencontrer quelqu’un, à plus forte raison lorsqu’on n’aime pas ce quelqu’un. On peut trouver la limite de cette hospitalité (comme d’ailleurs pour l’hospitalité traditionnelle) lorsque la rencontre peut nuire. 

Allons plus loin. J’aime à m’intéresser aux mots, révélateurs de multiples arcanes sociales. Je remarque que le mot « hospitalité » n’est pas loin de son substantif féminin « hospitalisation. » Ce dernier à pris un sens administratif strict. Mais il peut nous aider à penser la notion d’hospitalité. Etre hospitalier(1) c’est prendre le temps de l’écoute, avoir l’attitude de l’écoute. C’est savoir s’arrêter devant un ami ou un étranger, lui présenter ses paumes et lui dire qu’on l’écoute, et l’encourager, ne cesser de l’encourager à parler. L’hospitalité, c’est la curiosité (2), c’est accepter l’imprévu, l’étranger. Accepter d’être confronté à ses propres conservatismes, accepter de voir ses avarices. (3)

L’étranger est notre miroir. Sachons l’accueillir.

Être hospitalier, n’est donc pas un simple devoir social envers les autres, mais bien un devoir envers soi même. Lorsqu’on cesse d’être hospitalier, on se sclérose, on se replie, par manque de reflet de soi. On croit conserver son identité, mais en fait on se gargarise de cette identité. Une culture, une vie qui n’est pas confrontée au dehors cesse de prendre de la valeur, elle dépérit.


(1) On pense ici naturellement aux hospitaliers
(2) Curiosité viens de Cura, qui signifie soigner en latin
(3) L’hospitalité n’est donc absolument pas cette disposition matérielle que je nommais in limine, mais bien une disposition d’esprit. C’est être à l’écoute des autres, être prompt à l’accueil.

Friday 14 January 2011

Epicure

"Quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons point par là les désirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle [...] Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l'absence de souffrances corporelles et de troubles de l'âme."
Epicure, Lettre à Ménèce

Saturday 8 January 2011

L'image de la voix

La radio, c'est doux. C'est doux, parce que l'image n'est pas imposée. Seule la voix se propose. Je me souviens de ces écoutes familiales des radios "sérieuses", celles qui diffusent des émissions ou l'invité termine fatalement ses phrase par un "Heuuu" appuyé (Cf Le skech de Gad Elmaleh pour les connaisseurs). Je m'imaginais le physique des présentateurs, leur vie, leurs manières, leur studio.

Aujourd'hui, je découvre une publicité de France-inter vantant les mérites d'une de leurs émission. Ils affichent la photo d'une présentateur.

Une publicité de ce type

Ces publicités détruisent mon rêve, m'obligent une vision du présentateur. Elles me contraignent.
Il faut respecter les rêves des gens. La radio est le média du rêve, gardon le!

Friday 7 January 2011

Présumé erroné

Au début, la mise en garde des "anciens" de la fac ne m'avait fait ni chaud ni froid. Elle consistait à faire remarquer qu'à terme, le juriste devient sclérosé par sa science, obsédé par le bien parler juridique. Les symptomes sont de grandes déclarations ennuyantes (vous savez, de celles qui font fuir les connaissances en soirée. La "connaissance" étiquetant généralement l'indélicat de la mention "Lourd, à éviter.") ou des coups de gueules à "pousser" quoi qu'il advienne.
Aujoud'hui, je les crois.


Une erreur de plume du monde me fait aujourd'hui prendre la mienne, car elle commence à être par trop récurrente et titille ma juridique sensibilité.

Le monde daté du 7 janvier 2011, débute un de ses articles consacrés à un bombardier chinois par la phrase suivante. "L'apparition sur Internet de photos présumées d'un prototype d'avion furtif suscite des interrogation sur les avancées techniques de l'armée chinoise." Phrase d'accroche journalistique banale en somme. Si ce n'est qu'elle trahit l'injonction du chef de bureau de "faire plus court" tant on a l'impression qu'elle a subi les foudres d'une centrifugeuse soviétique.
Mais, au delà de sa mauvaise rédaction, c'est l'usage du mot "présumé" qui me met hors de moi. Je pèse mes mots et ma colère.

Le langage journalistique a, depuis longtemps, assimilé cette notion de "présumé". On parle maintenant du présumé coupable, présumé victime, présumé bidule. On ne se rappelle que rarement de sa lointaine parenté journalistique d'avec la "présomption d'innocence." L'article préliminaire troisièmement du Code de procédure pénale réprime en effet les atteintes à cette présomption. C'est ainsi que les journalistes ont du adapter leur vocabulaire en passant des vocables "accusé", "inculpé", à "présumé" suivi de la qualification désirée. On a pu ainsi trouver des ineptie telles que le "présumé violeur" ou le "présumé coupable", inepties provoquant l'exact inverse de ce qu'elle souhaite dire: le "présumé violeur" serait en fait considéré comme violeur à moins qu'il ne démontre le contraire. Je ne vous ferai pas l'affront de vous dérouler le raisonnement, c'est pourquoi je reviens à la définition fondamentale: qu'est ce qu'une présomption.

Selon l'article 1349 du Code civil "les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu." Je "la fais courte" en résumant: la présomption est un mode de preuve judiciaire. Un état de fait préconçu, au fond, un préjugé. Au sens pénal, la présomption est une supposition de départ, ouverte à la contestation (vocabulaire Cornu, 8ème Ed.).
La présomption est une supposition quand à la preuve judiciaire.

Amis journalistes, il est ainsi inutile d'emprunter un vocabulaire technique pour parraitre maitriser le sujet, quand ce vocabulaire est hors de son conteste. A plus forte raison lorsque ce vocabulaire est utilisée comme un raccourci pour dire en substance: "on suppose que c'est ca, mais on n'est pas sur, alors si on se goure on vous aura prévenu qu'on n'avait bien dit que c'était sous réserve de la preuve du contraire." Oui présumé, c'est moins long.

Ainsi dans la phrase susvisée (1) du monde, il était absolument hors de propos de présumer que l'avion était bien celui de la photo, ou qu'il était un appareil furtif de l'armée chinoise. Le dit engin n'était l'objet d'aucune présomption, ni de droit ni du juge. Il n'était non plus pas l'objet d'une quelconque action judiciaire.
Il suffisait de dire que le gros coucou blindé en photo était supposé être l'avion furtif en question.


Amis journalistes:
Ne dites pas: "le présumé bidule" Tout court, même pour un accusé!

Dites: "le supposé bidule" ou, en matière judiciaire: "le défendeur" (en matière civile), "le prévenu" (en matière correctionnelle), "l'accusé" (en matière criminelle) ou "le mis en examen" (si une instruction préparatoire est en cours.)


(1) Moi aussi je sais utiliser un vocabulaire technique hors de tout contexte.

Sunday 2 January 2011

Problèmes aux solutions

" Mon père disait qu'en ce siècle de laisser-aller, tout tend à faire des hommes médiocres. "
Stendhal, Mémoires d'un touriste

Hier, en faisant mon petit tour de la toile (petit, le tour de la Joconde, 77x53 cm, pas celui de Guernica 349,3x777,6 cm) je rencontre le site "Brother solution service." Un peu décontenancé par cette découverte, je sors me dégourdir les papattes. En faisant mon petit tour (du pâté, de maison, s'entend) je tombe nez à nez avec une publicité vantant je ne sais quelles "solutions bidule." Décrétant finie la promenade, je rentre chez moi. Mon téléphone sonne: ma cousine me transmets ses bon vœux. Et, sur le ton de la plaisanterie, je lui demande si elle fera sienne la devise de son école: "You have the answers."? La plaisanterie ne m'a pas plue (étonnant de se décevoir d'une plaisanterie, non?) et m'a même fait replonger plus loin dans cette perplexité linguistico-sociale: pourquoi le monde produit des solutions?



Si la solution est le dénouement d'une difficulté (Littré), elle est surtout le résultat d'une réflexion (Larousse). Ces publicités ne posent plus la réflexion: elles apportent tout de suite, et sur un plateau, La solution. Il y a comme une compression temporelle: on a à peine le temps d'être ennuyé par la question, que la réponse est la! C'est un peu le Mythe Google (à la requête "you have the answer" il trouve Environ 1 110 000 000 résultats en 0,19 secondes, mais tous sans aucun rapport avec l'école de ma cousine...) ou le mythe du sauveur, celui qui relève de la souffrance, qui supprime le problème.

La réflexion est reléguée au rang d'inutilité poussiéreuse et ne mérite que l'externalisation. Oui, il s'agit ici d'externaliser le problème, le problème tout entier: à peine formulé, il est dégagé de l'esprit, confié à ses experts qui sauront lui apporter la solution, clefs en mains.

Ne parlons pas de la difficulté qui est la difficile réflexion permettant la résolution d'un problème. Celle-ci est dégagée en touche, la ou nos grands pères la regarderont agoniser sur le banc de touche (au passage, la devise de mon grand père est celle de son école : FINIR). L'illusion des nouvelles technologies n'y est pas pour rien (Pensons aux millions de machines à calculer que sont les ordinateurs à notre disposition. Oui, un relent de Matrix, et alors?!?).


On externalise même l'application du "connais toi toi même" antique: comptez sur les nombreux stages de développement personnels ou de connaissance de soi pour cela!

Notre cher et adoré président a souhaité focaliser sa politique sur la redécouverte de la "valeur" travail. On le voit, sa proposition a capoté (1). La raison est simple: le travail est (par définition française) difficile. Or la difficulté c'est nul. Donc le travail c'est nul.


Soyons donc modernes et pleins partisans de la "génération micro-ondes" (2): génération du tout cuit dans le bec!




(1) Capoter, terme de marine, chavirer dit le Littré. Moi j'aime bien l'étymologie (inexacte, mais si drôle) de : recouvrir d'une capote et reléguer au fin fond de la remise à idées.
(2) Merci E.N.