Sunday 8 May 2011

La capsule, la table et la vitre

Je me souviens avoir un jour consulté la page d’une encyclopédie consacrée à la peine de mort. Y figurait une photo représentant une salle d’exécution de l’Etat de Californie. La table d’exécution y est située dans ce qui fut un jour une chambre à gaz. Cette grosse capsule en laiton à l’allure de sous marin s’ouvre par une porte munie d’un hublot et d’une poignée à roue. La photographie était prise de telle manière que l’on se trouve au seuil de cette chambre. Le plafond bas et la lumière orangée teintée de vert accentuait l’oppression. Le lieu de barbarie paraissait presque tranquille. Voir cette pièce baignée d’une lumière extraterrestre la rendait inhumaine. Sur la gauche de la photo, une vitre. Et derrière cette vitre, un gradin de chaises en plastiques, les mêmes que celles que l’on trouve dans les salles de réunion des hôtels de province.
 
La table habitant la capsule est une table articulée. Elle ressemble à un insecte, elle a un abdomen, une queue et une tête. Elle a aussi deux bras, garnis, comme le reste de la table, de bracelets en cuir marron. On pourrait les trouver dans un hôpital psychiatrique. La table est blanche, immaculée, comme si elle n’avait pas le souvenir des hommes qu’elle a retenu au départ. Comme si elle voulait ne pas se souvenir, ne pouvait pas. La table n’y est pour rien, les hommes y sont pour tout.

La table est légèrement relevée dans sa partie supérieure, comme le lit des malades que l’on relève pour qu’ils puissent manger. Elle a daigné laisser à celui qui digère son dernier repas un ultime confort d’être à demi relevé.

A droite de la table, dans la capsule, un chariot en acier. Il est froid, à roulettes. C’est lui qui, sûrement, à dû supporter les instruments. Dans son coin, il a honte, malgré le fait qu’on lui dise qu’elle n’y est pour rien. Il roule de honte vers les coins.

J’ai toujours été stupéfait qu’un homme puisse donner la mort à un autre homme. C’est un pouvoir qu’il a toujours eu. La mort, au début – et encore maintenant –, était donnée dans un accès de fureur, sur un champ de bataille ou de foire. Il y avait un soldat dans le feu de l’action, ou un bourreau cagoulé. Les adjuvants à l’action – les autres soldats ou le public de l’exécution – était tous transis de fureur, écumants, beuglants. 

Cette salle, aseptique et organisée tranche fortement avec la primitive façon de donner la mort. Elle est neutre. Le public est séparé de l’action par une épaisse vitre. Celui qui donne la mort n’est plus un bourreau ou un soldat, mais un homme en blouse blanche de docteur. Les adjuvants sont gentiment assis, comme pour suivre un exposé de mercatique. La mort, si le condamné ne se débat pas, sera inoculée sans violence, presque gentiment. Il aura la mort dans le sang. La mort n’est plus une maladie ou une folie ou une bêtise, mais une juste réparation, une hygiène de société. La mort perd son caractère grandiose, exceptionnel. Elle devient froide et atone, neutre. Elle devient un évènement social comme un autre. Elle n’est que le résultat du processus normal de la justice. Ce n’est plus une condamnation à mort.

Une photographie similaire peut être vue ici, mais ce n'est pas la photo d'origine.

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